On a laissŽ faire lĠextermination des Juifs

 

La lecture de Jan Karski mĠa bouleversŽe, moins par lĠŽmotion quĠil suscite que par la pugnacitŽ, le dŽtermination dĠHaenel ˆ crier dans le dŽsert. Relayant des paroles pour lesquelles lĠhistoire est restŽe muette et sourde, ressassant la certitude que le dŽsastre est encore lˆ. LĠactualitŽ ne dŽment rien. La presse sĠempare de ce livre, lĠaccusant de mensonge et implicitement de lĠappropriation dĠun dŽbat qui nĠappartient quĠaux spŽcialistes de la question : les Juifs eux-mmes ; LĠaffaire ne sent pas bon ! La subtilitŽ du propos et la prŽcision de la pensŽe, la justesse des mots et la finesse littŽraire, tout Žchappe  aux vieux intellectuels  que le pouvoir mŽdiatique protge pour leurs idŽes canonisŽes ˆ bon escient mais qui laissent peu de place ˆ leur disciple et Žtouffe une pensŽe qui doit rester vivante. QuĠest-ce qui en effet interdit chacun de pousser le raisonnement sur lĠindiffŽrence chronique des non juifs ˆ lĠŽgard des persŽcutions et dĠen dŽduire un rejet structurel de la communautŽ juive ? Haenel tente de le prouver. Son texte, Žcrit ˆ la premire personne, transpose magnifiquement la rŽalitŽ dans une fiction que lĠhistoire consŽcutive ˆ la deuxime guerre Žclaire et confirme. Il y a dans ce texte un partage profond et sincre  des sentiments de compassion devant la catastrophe :

p 165 On croit que lĠhistoire mondiale se dŽroule trs loin de nous, ˆ chaque instant elle semble avoir lieu sans nous, et ˆ la fin on se rend compte que cette histoire est lĠhistoire de notre ‰me.

LĠauteur ˆ travers la voix de Karski confesse sa sympathie au sens originel et surtout sa fraternitŽ humaine (voir ˆ ce sujet la remise en cause du terme humanitŽ qui, faut-il le rappeler dŽsigne la victime comme le barbare sans exclusion). Il sait que cette expŽrience unique du tŽmoin qui veut faire entendre sa voix est un sacrifice de soi et de son existence, car elle engendre une solitude que seule la recherche de la vŽritŽ fondamentale construit. Peu dĠhommes sont capables, au-delˆ de la pitiŽ et de lĠŽmotion paralysantes, dĠagir et de se cogner au refus ˆ peine masquŽ de sauver des hommes.

La distance qui nous sŽpare des hommes qui meurent sĠappelle lĠinfamie ; et vivre nĠest jamais quĠune manire de se confronter ˆ cette distance.

LĠauteur fait le choix de parler, au risque de ne pas se faire entendre, il prŽfre comme  son hŽros sĠexposer ˆ la btise et ˆ lĠignorance, dans la conscience dĠexister au ressassement des mmes poncifs moraux dont chacun, saturŽ dĠŽgo•sme, a oubliŽ le sens.

Le livre oscillant entre philosophie et littŽrature attire des critiques injustes, car le message presque religieux nĠest pas peru ; seule la vŽracitŽ des ŽvŽnement prime, comme si la dŽmonstration venait briser un systme de penser qui enferme la Shoah dans un type de discours dont on ne peut sortir ; obsession du catalogue, de lĠaccumulation de tŽmoins. Aprs la connaissance devrait venir la rŽflexion ! Mais la peur de quitter ce cocon de la mŽmoire ne sous tendrait-elle pas lĠangoisse mme de regarder en face le monde actuel tel quĠil est, vidŽ de son sens o le mot sacrŽ de Ç diversitŽ È brouille ˆ tout jamais la notion dĠunitŽ humaine. Chaque groupe rŽfugiŽ dans sa vŽritŽ reste sourd ˆ lĠuniversalitŽ, y compris des gŽnies comme Lanzmann. (cf article du Monde).

C. Lippmann-Nadaud