Devoir de
vacances
Un des cimetières juifs de Lublin en 2007
On dit que les voyages forment la
jeunesse, mais qu’en est-il de l’esprit critique ?
Voilà dans quel état nous avons trouvé
l’un des cimetières juifs de la ville polonaise de Lublin lors d’un
voyage
scolaire. Un accès difficile, un gardien ivre et peu coopératif, des
pierres
tombales (récupérées des routes qu’elles avaient servi à paver lors de
la
guerre) en vrac au milieu des ordures. Rien d’entretenu, rien de
respecté.
Étrange
leçon pour les jeunes de ce
voyage, qui ne devaient pas savoir que leur ville de Nancy est jumelée
avec
Lublin, et que l’on fête en 2008 les vingt ans de ce jumelage.
Mais, rentrés depuis un an, ils auront
une seconde chance de pratiquer l’art de l’exégèse : mettre en
parallèle
deux manifestations prévues dans le cadre de ce 20e
anniversaire, à
savoir l’exposition À la recherche des enfants perdus et le concert Mémoire et espoir retrouvés
, toutes deux dédiées « à la mémoire des
enfants
juifs de
Lublin et
de Nancy perdus pour l’humanité tout entière ». Est-il hâtif de
s’imaginer
que nos lycéens y trouveront chacun un enfant mort en déportation à
adopter, ce
qui nous empêchera tous de perdre la mémoire et nous rendra à tous
l’espoir, en
chantant ?
La fausse bonne idée du président
Sarkozy, concernant les élèves du primaire, a pourtant été
abandonnée !
En septembre, ceux à qui il resterait des oublis à
corriger, ou ceux qui ne peuvent attendre les Journées nationales du
Patrimoine, pourront bénéficier d’une session de rattrapage lors des
Journées Européennes de la Culture Juive dont le sujet sera cette année
« Musique, culture et histoire ». Ils s’interrogeront alors sur ce que
peut bien être une « œuvre musicale concentrationnaire » et quel
rapport peut entretenir un « chanteur rock israélien d’origine grecque
» avec la Shoah…
Derrière le paravent de grands mots tels
que culture, histoire et mémoire, au creux de belles formules vidées de
sens
— celles qui résonnent bien mais ne raisonnent plus, déformées par le
prisme de la méconnaissance, des raccourcis et des informations
parcellaires
— des réalités incomparables se retrouvent au même niveau. À tout
mélanger, la salade commémorative prendrait presque un goût festif et
l’ingrédient yiddish une saveur folklorique !
Alors, honteuse mais pas encore confuse,
je pose des questions, encore et toujours d
es questions, et j’invite
toutes les
bonnes volontés à réfléchir plus loin que des expressions toutes
faites :
les abus de langage sont le prélude aux abus tout court.
« C’est l’intention qui compte…»
objecteront certains. Précisément : l’enfer, qui, dit-on naquit un
jour de
l’uniformité, est, on le sait, pavé de bonnes intentions. Toujours
affichées,
elles émaillent le discours de taupes économes de leur réfléxion...
ou de rusés
renards soucieux d’apaiser un instant les oiseaux dont ils convoitent
le
fromage.