Publié le dimanche 14 juin 2009

Régine Jacubert, l'insoumise












La résistante et déportée nancéienne dédicacera son livre

« Fringale de vie contre usine à mort »
le 18 juin au Mémorial de la Shoah à Paris.
(photo Alexandre MARCHI)





NANCY. —
Avril 1992. Dans le car parti de Nancy qui les conduits à Fontainebleau, où ils doivent témoigner contre deux négationnistes, Régine Jacubert, «petite commerçante» lorraine survivante d'Auschwitz, sympathise avec l'universitaire Jean Hertz, enfant juif caché pendant la guerre. De leur rencontre, suivie d'entretiens réguliers, naîtra un livre : «Fringale de vie contre usine à mort» (1).
« Si nous sommes là aujourd'hui, nous le devons à des Français extraordinaires». En confiant qu'il l'intimidait au plus haut point (« Il était très grand et me faisait presque peur »), elle cite Pierre Marie, ce secrétaire du Service des étra« J'aime la vie » . Photo Alexandre MARCHIngers au commissariat de Nancy qui lui délivre une fausse vraie carte d'identité quand ses parents, arrêtés à Bordeaux, sont assignés au camp de La Lande à Monts en Touraine en janvier 1941. Elle se souvient des cheminots qui la cachent dans les poubelles des wagons-restaurants quand, toutes les trois semaines, elle franchit quatre zones pour rejoindre sa famille.
Régine Jacubert a tout connu : la lâcheté et le courage, la bassesse et la générosité. Elle évoque volontiers ceux grâce auxquels elle ne doute pas de l'humanité. Comme sa patronne lyonnaise, « madame Thabouret », chausseur, qui l'embauche, la protège et lui fait parvenir un colis quand elle est internée à Montluc en juin 1944 (son réseau avait été dénoncé), avant d'être déportée à Auschwitz. Elle se rappelle ces policiers nancéiens qui, le 18 juillet 1942, préviennent les 385 Juifs de Nancy de la rafle du lendemain. « 300 seront sauvés »... dont elle, cachée quelques jours par des Nancéiens du quartier populaire du Placieux.
« Ma vie est ''peuplée'' de chance » assure-t-elle. Et son cœur encore peuplé de ceux qu'elle aimait, en particulier les 21 membres de sa famille assassinés par les nazis, dont son petit frère Léon qui venait d'avoir 15 ans et ses parents, dont elle a su le sort funeste dès son arrivée à Auschwitz.

« Jamais je ne pardonnerai »

« Un Nancéien que je connaissais était dans le même convoi qu'eux, le n°8. Quand il m'a vue, il m'a ordonné : ''Eloigne toi des vieux et des enfants''. Quand je lui ai demandé des nouvelles des miens, il m'a montré la cheminée ». Plus de 60 ans après, la colère de cette énergique petite femme de 89 ans est intacte : « Jamais je ne pardonnerai ». Son amour de la vie aussi. Il a été un rempart pour ne pas perdre son âme et résister au froid, à la faim, à l'angoisse des ''sélections''... Ce qui l'a soutenue surtout, c'est la promesse de ne pas mourir faite à son autre frère Jérôme, arrêté en même temps qu'elle à Lyon et lui aussi déporté à Auschwitz : « Je ne l'ai entr'aperçu qu'une seule fois. De loin, il m'a crié : ''Tiens bon, je tiendrais aussi'' ». Et ils ont tenu ! A son retour à Nancy, le 3 juin 1945, elle pèse 29 kilos, retrouve son frère, l'embrasse, mais sans le reconnaître.
Le jour où elle a présenté son livre à l'Association culturelle juive de Nancy en mai dernier, Régine Jacubert a ému jusqu'aux larmes son auditoire.
« Quand nous sommes rentrés des camps, personne ne voulait nous entendre, pas même les juifs. La France sortait d'une guerre, chacun avait ses problèmes sans s'occuper de nous les ''pouilleux'' ». Le temps du silence a duré jusqu'aux années 80, quand a été diffusé le feuilleton Holocauste (« Les gens voulaient savoir ce qu'était devenue la famille Weiss, héroïne de la série »), puis quand a été jugé Barbie en 1987, procès au cours duquel elle a raconté comment le nazi l'avait torturée.

« Moi, c'était Ryvka »

Depuis, Régine est régulièrement invitée dans les écoles, les collèges et les lycées. « Nous arrivons encore à éveiller la curiosité, l'amour et l'amitié ». Pas étonnant, car le parcours de cette femme, née du côté de Poznan en Pologne en janvier 1920, arrivée dix ans plus tard à Nancy, fuyant les pogroms, force le respect. Pourquoi Nancy ? Car un oncle casquettier et ex-poilu y habitait. « Nous avions des noms polonais. Moi, c'était Ryvka Skorka. Il nous a dit : ''C'est terminé les prénoms étrangers, ici on est en France'' ».
Ses souvenirs plus intimes, elle ne les partage qu'avec ses copines survivantes du convoi 77 : « Nous sommes encore 15 aujourd'hui. Nous nous retrouvons chaque année... et nous faisons la fête ! »
 
Michèle ARRIVEAU

• Fringale de vie contre usine à mort, éditions Le Manuscrit, 257 pages, 21,90 €
© L'Est Républicain - 2008 - ISSN 1760-4958