Régine Jacubert, l'insoumise
La résistante et
déportée nancéienne
dédicacera son livre
« Fringale de vie contre
usine
à mort »
le 18 juin au Mémorial de la Shoah
à Paris.
(photo Alexandre MARCHI)
NANCY. — Avril 1992. Dans le
car parti de Nancy qui les conduits à Fontainebleau, où
ils doivent témoigner contre deux négationnistes,
Régine
Jacubert,
«
petite commerçante» lorraine survivante
d'Auschwitz, sympathise avec l'universitaire Jean Hertz, enfant juif
caché pendant la guerre. De leur rencontre, suivie d'entretiens
réguliers, naîtra un livre : «
Fringale de vie
contre usine à mort» (1).
«
Si nous sommes là
aujourd'hui, nous le devons
à des Français extraordinaires». En confiant
qu'il l'intimidait au plus haut point («
Il était
très grand et me faisait presque peur »), elle cite
Pierre Marie, ce secrétaire du Service des étra
ngers au
commissariat de Nancy qui lui délivre une fausse vraie carte
d'identité quand ses parents, arrêtés à
Bordeaux, sont assignés au camp de La Lande à Monts en
Touraine en janvier 1941. Elle se souvient des cheminots qui la cachent
dans les poubelles des wagons-restaurants quand, toutes les trois
semaines, elle franchit quatre zones pour rejoindre sa famille.
Régine
Jacubert
a tout connu : la lâcheté et le courage, la bassesse et la
générosité. Elle évoque volontiers ceux
grâce auxquels elle ne doute pas de l'humanité. Comme sa
patronne lyonnaise, «
madame Thabouret »,
chausseur, qui l'embauche, la protège et lui fait parvenir un
colis quand elle est internée à Montluc en juin 1944 (son
réseau avait été dénoncé), avant
d'être déportée à Auschwitz. Elle se
rappelle ces policiers nancéiens qui, le 18 juillet 1942,
préviennent les 385 Juifs de Nancy de la rafle du lendemain.
«
300 seront sauvés »... dont elle,
cachée quelques jours par des Nancéiens du quartier
populaire du Placieux.
«
Ma vie est ''peuplée'' de chance »
assure-t-elle. Et son cœur encore peuplé de ceux qu'elle aimait,
en particulier les 21 membres de sa famille assassinés par les
nazis, dont son petit frère Léon qui venait d'avoir 15
ans et ses parents, dont elle a su le sort funeste dès son
arrivée à Auschwitz.
« Jamais je ne pardonnerai »
« Un Nancéien que je
connaissais était dans le même convoi qu'eux, le n°8.
Quand il m'a vue, il m'a ordonné : ''Eloigne toi des vieux et
des enfants''. Quand je lui ai demandé des nouvelles des miens,
il m'a montré la cheminée ». Plus de 60
ans après, la colère de cette énergique petite
femme de 89 ans est intacte : « Jamais je ne pardonnerai
». Son amour de la vie aussi. Il a été un rempart
pour ne pas perdre son âme et résister au froid, à
la faim, à l'angoisse des ''sélections''... Ce qui l'a
soutenue surtout, c'est la promesse de ne pas mourir faite à son
autre frère Jérôme, arrêté en
même temps qu'elle à Lyon et lui aussi
déporté à Auschwitz : « Je ne l'ai
entr'aperçu qu'une seule fois. De loin, il m'a crié :
''Tiens bon, je tiendrais aussi'' ». Et ils ont tenu ! A son
retour à Nancy, le 3 juin 1945, elle pèse 29 kilos,
retrouve son frère, l'embrasse, mais sans le reconnaître.
Le jour où elle a présenté son livre à
l'Association culturelle juive de Nancy en mai dernier, Régine Jacubert a
ému jusqu'aux larmes son auditoire.
« Quand nous sommes rentrés des camps, personne ne
voulait nous entendre, pas même les juifs. La France sortait
d'une guerre, chacun avait ses problèmes sans s'occuper de nous
les ''pouilleux'' ». Le temps du silence a duré
jusqu'aux années 80, quand a été diffusé le
feuilleton Holocauste (« Les gens voulaient savoir ce
qu'était devenue la famille Weiss, héroïne de la
série »), puis quand a été jugé
Barbie en 1987, procès au cours duquel elle a raconté
comment le nazi l'avait torturée.
« Moi, c'était Ryvka »
Depuis, Régine est
régulièrement invitée dans les écoles, les
collèges et les lycées. « Nous arrivons encore
à éveiller la curiosité, l'amour et
l'amitié ». Pas étonnant, car le parcours de
cette femme, née du côté de Poznan en Pologne en
janvier 1920, arrivée dix ans plus tard à Nancy, fuyant
les pogroms, force le respect. Pourquoi Nancy ? Car un oncle
casquettier et ex-poilu y habitait. « Nous avions des noms
polonais. Moi, c'était Ryvka Skorka. Il nous a dit : ''C'est
terminé les prénoms étrangers, ici on est en
France'' ».
Ses souvenirs plus intimes, elle ne les partage qu'avec ses copines
survivantes du convoi 77 : « Nous sommes encore 15
aujourd'hui. Nous nous retrouvons chaque année... et nous
faisons la fête ! »
Michèle ARRIVEAU
•
Fringale de vie contre usine à mort,
éditions Le Manuscrit, 257 pages, 21,90 €