Article paru dans l'Est Républicain enpage Nancy le 18 mars 2004

Chefs d'oeuvres en péril
Fresques murales de ManéKatz, bibliothèque. L'Association culturelle juive entreprend le sauvetagede ses trésors.

Joueurs de flûte, de violon, decontrebasse. Du plancher au plafond, ils font toute la hauteur du mur. Cesont les klezmorim, trois musiciens juifs, peints à même leplâtre en 1946 par Mané Katz, auteur de la grande huile surtoile qui trône à la place d'honneur, au « 55 »de la rue des Ponts à Nancy.

Le « 55 », c'estle siège de l'A.C.J., association culturelle juive qui fêtecette année ses quatre-vingts ans, au rythme de plusieurs manifestations.Plus qu'un souvenir, mais qui a marqué les esprits, le concert demusique klezmer du premier week-end de mars. A venir, en mai-juin, une expositionconsacrée à la poésie yiddish illustrée par leNancéien Roland Grünberg et, pendant Le Livre sur la Place, uneexposition rétrospective de l'histoire de l'ACJ.

Urgence en cette année d'anniversaire,la restauration et la protection des peintures. Le tableau, oeuvre qui représentel'insurrection du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943, est en parfait état.Pour les fresques, c'est une autre chanson. Le plâtre s'écaille,les fissures s'affichent. Pas question de voir partir en petits bouts lespersonnages tout droit sortis du shtetl, le village juif d'Europe centrale.Et tout droit sortis de la mémoire d'Ohel Mané-Katz, dit ManéKatz, Ukrainien né à Krementchoug en 1894, devenu Françaisen 1927, contemporain et ami de Soutine et Chagall.

C'est à ce peintre de l'expressionnismejuif que les juifs de Nancy ont fait appel en 1946. « Nous n'avonsqu'une mémoire orale, mais l'histoire veut que, de retour des camps,une commission de rescapés qui avaient entendu parler de lui ont demandéà Mané Katz de venir à Nancy et de faire quelque chose »,dit Catherine Jablon, l'une des membres du comitéd'organisation du 80e anniversaire.

Les fresques enprime

Le président d'alors de l'A.C.J.et son équipe avaient un petit pécule. Le peintre avait unecote à ne pas baisser (pour mémoire, ses oeuvres sont estiméesaujourd'hui entre 15.000 et 60.000 dollars pièce). « Alors,il leur a fait un cadeau. Pour le prix total, il a aussi peint les fresques ».

Appelé au chevet des trois klezmorim,un restaurateur de Chalons-en-Champagne conseillé par la conservateurdu Musée des Beaux-Arts, a demandé le traitement de l'humiditédes murs, avant toute intervention. Ce qui devrait demander plus d'un an.Le temps de monter un dossier destiné à la DRAC, histoire d'essayerd'obtenir des subventions.

Autre péril, la bibliothèque.Environ deux mille ouvrages poussiéreux, tous, à part quelquesChateaubriand, en yiddish. Que ce soit du Zola, du Balzac ou les oeuvrescomplètes de Victor Hugo. Un fonds en partie répertoriégrâce à la professeur de yiddish de l'ACJ. « Toutle monde a conscience de sa valeur. Des bibliothèques parisiennessont intéressées. Mais nous partons du principe que tant quela maison est debout, on ne s'en séparera pas, c'est notre patrimoine ».

Dans le patrimoine également,une incroyable armoire qui abrite les rouleaux de la loi devant laquellese pratiquait autrefois le culte. Une curiosité réaliséeen 1938 par un Monsieur Touschmayer. Flanquée de deux colonnes demarbre, l'armoire en question est surmontée d'une foule de moulureset pâtisseries diverses. Les colonnes sont des tuyaux de poêlepeints. Les moulures participent de la pâtisserie au sens premier duterme. M. Touschmayer a utilisé tous les moules à gâteauqu'il a trouvés, y compris deux coquilles à madeleines du plusbel effet. Précision de Jérôme Scorin, adhérentde l'ACJ qui se souvient : « M. Touschmayer travaillait àLiverdun ».

Rachel VALENTIN


 


Détail des moulures et pâtisseries.


© L'Est Républicain - 18.03.2004