Dimanche 8 mai 2005






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Article paru dans l'Est Républicain en page Nancy

« Il faut croire en la vie »
Régine Jacubert, résistante et déportée, recevra dimanche la Légion d'honneur des mains du président de la République.

Régine Jacubert ne témoigne dans les établissements scolaires que depuis deux, trois ans. Auparavant, elle refusait les sollicitations, préférant laisser ce rôle de témoin à son frère, Jérôme Scorin, dont elle dit qu'il est « plus qu'un frère. Nos vies ont toujours été parallèles ». Luiavait été nommé chevalier de la Légion d'honneurfin 2000. Dimanche, ce sera à son tour d'être décorée au pied de l'Arc de Triomphe par le président de la République, dans le cadre de la célébration du 60e anniversaire de lavictoire du 8 mai 1945. « Je serais, paraît-il, la seulefemme », glisse cette dame admirable d'humanité. « C'estimpressionnant, et en même temps déroutant. Je suis un peuprise au dépourvu ».

Si elle ne s'attendait pas à être décorée par Jacques Chirac, Régine HRLREA savait que l'Associationculturelle juive du 55, rue des Ponts, avait proposé son nom au titrede la Légion d'honneur. Le 55, elle raconte s'y être renduedès son arrivée en France en 1930, à l'âge de10 ans. Avant guerre, déjà, c'est là que les juifsde l'Est débarqués à Nancy se retrouvaient quotidiennement.« C'est ma maison, le 55 », sourit la résistanteet déportée, dont la famille avait fui la Pologne en raisonde l'antisémitisme dont les juifs étaient victimes. « LaFrance représentait un pays de liberté, où nous allionsêtre heureux »


De Lyon à Birkenau

Quand elle intervient désormais devant des scolaires, Régine Jacubert leur raconte sa première arrestation, en 1941, alors qu'elle continuait à vendre de la bonneterie au marché malgré l'interdiction faite aux juifs de travailler. A l'époque, ses parents et ses frères sont partis en déportation. Jérôme parvient toutefois à s'échapper et la rejoint. L'année suivante, deux jours après la rafle du Vel'd'Hiv, ils échappent à un sort semblable grâce à l'action courageuse de sept policiers nancéiens du bureau des étrangers. Ils fuient Lyon, entrent dans la Résistance. Dénoncés, ils sont questionnés par Barbie, puis déportés. Régine Jacubert est du convoi 77 pour l'horreurde Birkenau. A son retour, en 1945, elle pèse 29 kilos. « Ila fallu reprendre goût à la vie. Heureusement, j'ai étérecueillie par une tante qui nous considérait comme ses enfants.J'ai repris ma place au marché, ce qui n'était pas forcémentfacile, parce que j'étais étrangère... ».

Comment reprend-on goût àla vie, après avoir côtoyé l'innommable ? La question revient à chacune de ses rencontres avec des lycéens. « Pour moi, c'est une chose évidente », répond Régine Jacubert. « Il faut aimer la vie, croire en la vie, et croire en l'homme qui n'est pas tout à fait mauvais. Du plus profond de mon coeur, je pense ça. J'ai dû me battre dans ma vie. J'ai aussi eu la chance de rencontrer des gens d'exception. Quand je parle aux jeunes, je pense par exemple à tout ce que m'a transmis mon institutrice de Raugraff, qui m'a appris le Français en 6 mois quand je suis arrivée à Nancy. Je crois beaucoup en l'éducation »

« J'ai transmis quelque chose »

Après guerre, Régine aépousé Henri Jacubert, un grandRésistant lui aussi, lieutenant du maquis de Vercors, décédéen 1996. Elle profite aujourd'hui de ses « deux fils merveilleux », de ses « quatre petits-enfants dont je suis fière ». « Je suis restée vivante et j'ai transmis quelque chose à la vie », dit-elle. « A mon âge, la reconnaissance qu'implique cette décoration me conforte. Je me dis que mes parents qui auraient tellement voulu avoir cette nationalitéfrançaise mais ont été « ajournés »à deux reprises, c'est comme ça qu'on disait, me voient peut-être aujourd'hui. Oui, cette reconnaissance me touche particulièrement, par rapport aux 24 personnes de ma famille qui ont disparu dans cette épreuve ». Dans la foulée de sa décoration, en début de semaine prochaine, Régine Jacubert séjournera durant trois jours en Normandie avec seize autres survivantes du convoi 77, qu'elle retrouve régulièrement. C'est à chaque fois, dit-elle, un intense moment de bonheur.

Benoît GAUDIBERT


 
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« J’ai dû me battre dans ma vie. J’ai aussi eu la chance de rencontrer des gens d’exception ». Photo Michel FRITSCH


© L'Est Républicain - 06.05.2005